La première fois que j’ai rencontré Jean-Marie Muller, c’était en octobre 1993 lors d’une table ronde que j’animais pour susciter un dialogue entre des Prix Nobel de la Paix et des responsables d’Organisations Non Gouvernementales. Depuis, nous avons eu d’autres occasions de mieux nous connaître. Fondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente, sa réflexion sur la non-violence s’enracine dans de nombreuses actions auxquelles il a participé en faveur de la justice et de la paix aussi bien en France qu’à l’étranger.


Dans cet écrit, il souligne avec insistance l’urgence de rompre avec l’idéologie de "la violence nécessaire, légitime et honorable" qui, selon lui, structure la culture dominante de nos sociétés. Dans le même temps, il nous invite à construire une philosophie de la non-violence qui soit "la pierre angulaire d’une culture de la non-violence". J’adhère profondément à l’idée que, face aux défis auxquels nous sommes confrontés en ce début du XXIe siècle, il est urgent de "re-penser la violence à la fois comme idéologie et comme stratégie, pour penser la non-violence à la fois comme philosophie et comme stratégie".


Ce qui caractérise principalement la pensée de Jean-Marie Muller - et c’est en cela qu’il est particulièrement convaincant -, c’est qu’il veut conjuguer dans une même démarche la sagesse de la non-violence comme la requête d’un sens à l’histoire et la stratégie de l’action non-violente comme la recherche d’une efficacité dans l’histoire. Loin des malentendus et des contre-sens qui prévalent encore dans notre société sur un tel sujet, il exprime avec force sa conviction que "la justification décisive", de la non-violence, c’est qu’elle "permet de réconcilier l’exigence morale et le réalisme politique". Tout à l’opposé d’un moralisme facile, l’exigence éthique de la non-violence invite chacun à assumer ses responsabilités dans les risques de l’action. La non-violence est un agir : "Elle est le bel agir".- La non-violence dont il fait l’éloge ne discrédite ni le conflit ni la lutte, mais au contraire elle les réhabilite comme des moments nécessaires pour combattre l’injustice et rétablir le droit. Car, comme il le souligne si justement, le non de la non-violence est certes "un non d’indignation", mais surtout il est "un non de résistance". Dans un premier temps, l’action non-violente vise à convaincre l’adversaire par des moyens de persuasion, mais si nécessaire, dans un second temps, elle cherche à le contraindre par la mise en oeuvre de tous les moyens d’action directe qu’elle met à notre disposition, de la simple manifestation à la désobéissance civile.


Avec raison, l’auteur dénonce l’illusion de ceux qui veulent rechercher "la paix avec soi-même" dans un exercice solitaire, loin des conflits qui divisent et opposent les hommes. La paix, affirme-t-il, est une dynamique qui s’inscrit au coeur des relations de l’homme avec l’autre homme. La paix est ouverture à l’altérité. C’est pourquoi elle est une épreuve de l’être. Mais c’est à travers cette épreuve que l’homme accomplit son hu­manité.


Jean-Marie Muller n’a pas l’illusion de croire que la non-violence nous promet un quelconque âge d’or. "Non seulement l’histoire continuera, écrit-il avec lucidité, mais elle continuera d’être une tragédie. ( . . . ) Le désir de violence ne sera pas éradiqué du coeur des hommes, mais il ne sera plus cultivé." Et nous comprenons bien que, déjà, cette perspective peut apporter de salutaires changements pour notre avenir. La violence n’est pas une fatalité et il appartient aux jeunes générations d"’inventer tous les possibles de la non-violence".

Entrer dans l'âge de non-violence - Jean-Marie Muller - Ed. du Relié