La question du droit de vote des résidents étrangers
Par frederic baylot le mardi, décembre 13 2011, 06:02 - Anarchie - Lien permanent
La question du droit de vote des résidents étrangers est débattue en France depuis de longues années et elle arrive probablement à un tournant avec la possibilité d'une révision constitutionnelle dans les mois à venir, en fonction des votes du Sénat en décembre 2011, puis des élections en 2012.
L'enjeu central de ce débat est
Quelle communauté politique ?
Ainsi, la question de savoir qui sont les citoyens est
importante. Tracer d'une façon ou d'une autre les frontières de la
citoyenneté n'est pas anodin, et cela revient à construire d'une façon
ou d'une autre la communauté politique elle-même. La communauté
politique est un certain type de communauté, qui se distingue de toute
autre communauté (culturelle, religieuse, économique, etc.) par le type
de lien qui est tissé entre ses membres. La communauté politique est définie par le lien politique, c'est-à-dire,
celui de l'engagement dans la Cité, espace où sont mis en commun les
intérêts particuliers et où la résolution des problèmes tente de
dépasser
Dans le débat sur le droit de vote des résidents étrangers, deux conceptions de la communauté politique s'affrontent.
D'un côté, on prétend définir la communauté des citoyens par
C'est
pour répondre de façon ouverte à cette interrogation qu'une autre
vision est apparue, qui consiste à ne pas enfermer la citoyenneté dans
la nationalité étatique, mais à la refonder à partir d'un autre type
d'appartenance, et en l'occurrence, à partir de
L'histoire montre que les limites du corps électoral ne sont pas naturelles mais qu'elles sont le fruit des luttes et des constructions politiques (en France : instauration d'un suffrage « universel » en 1848, droit de vote des femmes en 1944, abaissement à l'âge de 18 ans en 1974, puis extension du droit de vote municipal et européen aux citoyens de l'Union européenne en 1992, par exemple). Rien n'est naturel. Dans l'empire colonial français, la nationalité était distincte de la citoyenneté (les indigènes avaient globalement les devoirs des Français sans avoir les droits de citoyens), et aujourd'hui, on prétend refuser le droit de vote des étrangers au nom d'une équivalence proclamée entre les deux concepts (« la citoyenneté, c'est la nationalité », nous dit-on). Et alors que les Européens pouvaient, dans l'empire colonial, devenir citoyens plus facilement que les indigènes colonisés, aujourd'hui, les citoyens européens bénéficient du droit de vote municipal et européen, dès le début de leur résidence en France, sans aucune condition d'assimilation et sans naturalisation. Cette double discrimination (entre Français et étrangers, et entre étrangers européens et extracommunautaires) est intenable politiquement : « Comment peut-on expliquer qu'un Finlandais qui vient d'arriver dans la commune puisse voter, alors qu'un Marocain qui y a construit les routes depuis 30 ans ne le peut pas ? », entend-on régulièrement.
« Ils n'ont qu'à demander la naturalisation »
Dans
ce débat, on a longtemps affirmé que la nationalité, c'était la
citoyenneté de l'Etat-nation. Cette opinion est respectable. Mais outre
que cette affirmation n'est pas conforme à la réalité historique et à la
situation politique d'aujourd'hui, elle est surtout porteuse de dangers
pour la cohésion sociale. Le refus du droit de vote des résidents
étrangers construit d'une certaine façon la France d'aujourd'hui, en
renvoyant l'étranger à son altérité indépassable et menaçante, au lieu
de reconnaître la réalité d'une participation déjà effective à la vie
publique. De fait, les fantasmes agités par les dirigeants de
l'extrême-droite alimentent
Certains opposants au droit de vote local des résidents étrangers s'inquiètent du risque de « saucissonnage » de la citoyenneté, ou de « citoyenneté à deux vitesses ».
Leur objection ne vise pas à accorder aux étrangers une citoyenneté
pleine et entière (en étendant le droit de vote à toutes les élections),
mais à leur dénier toute citoyenneté. Bref, à la citoyenneté à deux
vitesses, ils préfèrent « pas de citoyenneté du tout ». Ou alors, ils préfèrent que l'étranger ne soit plus étranger, qu'il disparaisse comme tel. « S'ils veulent voter, ils n'ont qu'à demander la naturalisation »,
affirme-t-on sincèrement ou de façon péremptoire. Observons tout
d'abord que les deux propositions (droit de vote des résidents
étrangers, et acquisition de la nationalité) ne s'opposent pas, ni en
droit, ni dans la réalité politique. Elles cohabitent dans de nombreux
pays et ne sont pas antinomiques comme on l'affirme souvent. Ce n'est
pas parce que l'acquisition de la nationalité serait difficile dans
certains pays qu'on y aurait accordé le droit de vote aux étrangers. Au
contraire, certains pays ont simultanément ouvert leur nationalité et
accordé le droit de vote des étrangers. Et ces dernières années en
France, non seulement on a continué à refuser le droit de vote des
résidents étrangers, mais on a durci les conditions d'accès à
A condition de réciprocité ?
L'exigence
de réciprocité est également souvent avancée dans le débat sur le droit
de vote des étrangers, notamment pour fermer à l'avance la porte à
toute ouverture en
C'est
le principe suivi par l'Espagne, qui a mené une offensive diplomatique
en 2009-2010 aboutissant à accorder le droit de vote municipal à la
majorité des résidents étrangers (notamment, les originaires d'Amérique
du Sud, très nombreux en Espagne). Du fait de l'importance numérique des
Marocains en Espagne, cela a eu pour effet d'entraîner le Maroc à
ouvrir également son droit de vote municipal aux étrangers. L'article 30
de la nouvelle constitution marocaine adoptée par referendum en juin
2011 dispose que « (...) les
étrangers (...) qui résident au Maroc peuvent participer aux élections
locales en vertu de la loi, de l'application de conventions
internationales ou de pratiques de réciprocité ». Est-ce que,
en France, ceux qui s'abritent derrière la réciprocité sont prêts à
accorder le droit de vote aux ressortissants des Etats qui l'accordent
déjà aux Français ou se déclarent prêts à le faire sur la base de la
réciprocité ? Il s'agit des citoyens marocains, mais aussi
sud-américains, burkinabés, capverdiens, guinéens, malawites, ougandais,
rwandais, zambiens, sud-coréens, néo-zélandais, islandais, norvégiens,
trinidadiens, sans parler des ressortissants de certains cantons
suisses, de quelques Etats australiens, de quelques villes des
Etats-Unis ou encore de Hong Kong ?... Contrairement à ce qui est
souvent affirmé, le droit de vote des étrangers n'est pas une exception
européenne. Il est généralisé en Amérique du Sud, et il est répandu dans
de nombreux autres Etats sur
La réciprocité est un mécanisme classique de relations entre Etats souverains, dans une certaine conception du monde, héritée des traités de Westphalie en 1648, où seuls les Etats étaient sujets du droit international. Les droits des personnes dépendaient uniquement des droits internes de chaque Etat et des accords entre Etats. Mécanisme lié par excellence au principe de souveraineté, il en montre les limites par l'absurde : comment un Etat souverain peut-il accepter que ses propres lois électorales dépendent des autres Etats ? Faire dépendre les droits des gens ici de la situation dans leur pays d'origine, plus ou moins démocratique, plus ou moins stable revient à donner des clés de sa propre démocratie aux pays d'émigration.
De facto, la réciprocité est une voie qui permet d'avancer (qui permet à des Etats d'ouvrir des droits à de nouvelles catégories de personnes), voire de lancer une dynamique (l'ouverture du droit de vote au Maroc ainsi qu'en Equateur ou à Trinidad-et-Tobago est liée à la démarche de l'Espagne). L'application de la réciprocité pose de nombreux problèmes pratiques. Faut-il la formaliser comme l'Espagne dans des accords bilatéraux, ou l'adopter de façon plus souple ? Faut-il actualiser régulièrement la liste de pays dont les ressortissants peuvent voter en France, et donc, éventuellement, retirer le droit de vote à certains si la législation évolue ? Même si la tendance est plutôt à une généralisation lente de la pratique du vote des résidents étrangers, l'hypothèse d'un retour en arrière ne peut être écartée. Comment traiter les ressortissants des pays où la législation en vigueur ne dépend pas de l'Etat central mais varie selon les régions ou les communes ? Faut-il l'appliquer strictement à l'éligibilité et aux élections nationales ?
En tout cas, si on brandit comme un étendard l'absence de réciprocité pour récuser le droit de vote des étrangers, alors, il faudrait être cohérent avec ce principe et ouvrir effectivement le droit de vote sur cette base, quand ce principe est effectif.
Un choix crucial
En
conclusion, le débat sur le droit de vote des résidents étrangers place
la société française devant un choix crucial en matière de cohésion
sociale. Si on refuse le droit de vote des étrangers, on renforce l'idée
que les étrangers ne peuvent être pas « assimilés », et au fond, qu'ils n'ont pas leur place dans
Hervé Andrès
Docteur en science politique, auteur d'une thèse de doctorat sur « Le droit de vote des étrangers, Etat des lieux et fondements théoriques » (université Paris Diderot, 2007).