Affaibli depuis cinq mois par une infection pulmonaire, le dramaturge et ancien président tchécoslovaque Vaclav Havel est mort dimanche 18 décembre, a annoncé la télévision tchèque. L’information a été confirmée peu après par des sources officielles.
L’artisan de la “Révolution de velours” anti-communiste de 1989 et chef de l’Etat tchécoslovaque puis tchèque de 1989 à 2003 s’est éteint dans son sommeil, selon sa porte-parole Sabina Tancevova. Il avait 75 ans.
UNE SANTÉ FRAGILISÉE PAR SES ANNÉES DE PRISON
Une pneumonie mal soignée en prison et un cancer du poumon étaient à l’origine de ses multiples problèmes de santé. M. Havel avait passé cinq ans dans les geôles communistes avant 1989. Outre une bronchite chronique, il a souffert de problèmes cardiaques et de troubles intestinaux. Ces derniers mois, M. Havel passait la plupart de son temps dans sa maison de campagne située à 150 km de Prague, après avoirété hospitalisé en mars.
La maladie a été accompagnée de différentes complications, dont la “perte d’équilibre, l’affaiblissement de la mémoire et l’amaigrissement”, avait expliqué M. Havel dans une interview. Il y a encore une semaine, M. Havel avait rencontré à Prague le dalai-lama, chef spirituel des bouddhistes tibétains.
Icône de la dissidence anti-communiste, symbole du renouveau de la démocratie en Europe de l’Est, Vaclav Havel a incarné la “Révolution de velours” de 1989 qui a mis fin sans violence au régime totalitaire à Prague. Premier président de la Tchécoslovaquie post-communiste (1989-1992) puis de la République tchèque (1993-2003), il pilota la démocratisation de son pays, puis son adhésion à l’OTAN (1999) et les préparatifs pour l’entrée dans l’UE, conclue en 2004.
DES ORIGINES BOURGEOISES
Né le 5 octobre 1936 à Prague dans une famille propriétaire de studios de cinéma et de dizaines d’immeubles dans la capitale, Vaclav Havel fut privé d’études par le régime communiste au nom de la lutte antibourgeoise. Il se lance alors dans le théâtre d’abord comme machiniste, puis comme auteur du théâtre de l’absurde.
Refusant l’exil après l’occupation soviétique de 1968, il entre dans la dissidence pour rédiger le manifeste de la Charte 77, un vibrant plaidoyer politique pour les droits de l’homme. Son engagement lui vaut quatre ans de prison où il écrit ses célèbres Lettres à Olga, sa première femme. Elu à la magistrature suprême le 29 décembre 1989, il vit comme un échec l’éclatement de la Tchécoslovaquie, trois ans plus tard.
Après l’expiration de son mandat en février 2003, malgré sa santé fragile, il se consacre à la lutte pour les droits de l’homme à Cuba, en Biélorussie, en Birmanie ou en Russie. Il revient aussi aux lettres, avec la publication en 2006 de ses mémoires politiques et d’une pièce, Sur le départ, en 2008, titre également de son premier film présenté en avant-première à Prague, le 14 mars.

 Le Monde 11/12/2011

Vaclav Havel, toujours dissident

Prague, correspondant – Article publié le 9 décembre 2011.
Après plus de cinq mois de réclusion à domicile imposée par ses médecins pour soigner une violente infection pulmonaire, Vaclav Havel a réapparu en public ces dernières semaines, vieilli mais toujours pétillant. Comme à son habitude, il a soigneusement choisi ses apparitions pour marquer sa différence etrappeler les valeurs qu’il défend depuis cinquante ans.
D’abord, l’ancien dissident anticommuniste, fondateur de la Charte 77, et ex-président de 1989 à 2003 de la Tchécoslovaquie puis de la République tchèque, a fêté, comme il se doit, ses 75 ans. M. Havel avait réuni autour de lui, le 3 octobre à Prague, quelque 500 artistes, intellectuels et amis, dans la plus grande galerie privée d’art contemporain de la capitale. A commencer par Madeleine Albright, l’ex-secrétaire d’Etat américaine de Bill Clinton, et l’acteur britannique Tom Stoppard, tous deux d’origine tchèque.
Il a ensuite participé à la 15e édition de la conférence internationale de Forum 2000 qu’il avait lancée, au début des années 1990, avec Elie Wiesel, l’écrivain américain d’origine roumaine, Prix Nobel de la paix, pour construire des passerelles entre les cultures. Cette année, les participants, dirigeants politiques, intellectuels et dissidents des quatre coins de la planète, ont échangé sur la démocratie et l’Etat de droit, menacés par la corruption et le capitalisme oligarchique, avec en filigrane la crise de la zone euro et de l’Union européenne.
En quelques jours, Vaclav Havel a livré une profession de foi condensée de sa vie et de son engagement qui l’a “projeté dans l’Histoire, même s’(il ne l’a) jamais voulu”. Eminemment passionné par les arts et les idées, élevé dans les valeurs d’honnêteté, d’ouverture et de partage chères au président-fondateur de la Tchécoslovaquie, le philosophe Tomas Garrigue Masaryk, il ne pouvait que se heurter au régime communiste étouffant.
Ce dernier lui a fait chèrement payer son indépendance intellectuelle et morale – presque cinq ans de geôle -, et ses concitoyens, après l’avoir porté aux nues, sont divisés sur son héritage. Etre “havélien” est devenu une expression péjorative, pire encore que “communiste”, dans la bouche des représentants du pouvoirpolitique actuel et des médias. Les partisans du président Vaclav Klaus, successeur de M. Havel au Château de Prague et éternel rival, se moquent ouvertement “des amis de la vérité et de l’amour”, la devise havélienne tronquée - “l’amour et la vérité vaincront la haine et le mensonge”.
REFUGE DANS L’ÉCRITURE
En quittant ses fonctions présidentielles en février 2003, au terme de son second mandat non renouvelable, Vaclav Havel espérait avoir du temps pour lire et écrire. Il s’était promis de n’intervenirqu’exceptionnellement dans la politique tchèque – ce que, du reste, il respecte.
S’il apporte à chaque élection son soutien au parti des Verts, quelles que soient ses perspectives électorales, il ne cache pas qu’il est “déçu par les faibles résultats du gouvernement” actuel du libéral Petr Necas dans sa lutte contre la corruption, censée être sa priorité, et qu’il “est de plus en plus souvent en désaccord avec M. Klaus”, comme il l’a mentionné récemment au quotidien Dnes.
Regrettant qu’il “ne (parvienne) jamais à rattraper le temps perdu au service militaire (deux ans) et pendant les treize années présidentielles” en ce qui concerne la lecture, Vaclav Havel a réalisé en 2010 son premier film, Sur le départ, d’après sa pièce de théâtre éponyme. Film-théâtre ou théâtre filmé, son oeuvre, mettant en scène un dirigeant politique incapable de quitter ses fonctions, a été inégalement appréciée par la critique et boudée tant par les spectateurs tchèques que par les distributeurs étrangers.
Doutant qu’il reprenne un jour place derrière la caméra, il compte se réfugier dans sa maison de campagne pour écrire. Il prépare une nouvelle pièce de théâtre, intitulée Sanatorium, car “après le départ, il ne reste que le sanatorium”, ironisait-il au printemps.
Martin Plichta
Le précieux héritage de Vaclav Havel
Retour sur un parcours d’exception