Via Citizen Nantes

Michel Boujut, producteur, critique et écrivain. 13 mai 1940 - 29 mai 2011

Mon Colonel,

Après avoir servi pendant dix mois en métropole et à la veille de mon départ pour l’Algérie, j‘ai pris la grave décision de déserter.

Bien que les motifs qui ont inspiré mon attitude aient été maintes fois exposés par les quelques Français qui ont de la patrie et de la liberté une conception autre que la vôtre, je dois brièvement les rappeler ici, pour dissiper tout malentendu.

Il me semble, en effet, aberrant de penser que l’on puisse résoudre les problèmes d’un pays arriéré, par la guerre et ses séquelles : tortures, camps de regroupement ou d’hébergement. Quelle que soit leur bonne volonté, les militaires ne pourront jamais remplacer les seuls représentants authentiques de la France, instituteurs, assistantes sociales, ingénieurs, docteurs.

Etant simple deuxième classe, il m’aurait été pénible de devoir être considéré avec peur et mépris par des hommes qui n’auraient vu de moi que l’uniforme, symbole de l’oppression qu’ils subissent.

Recevez, mon Colonel mes considérations distinguées.

Michel Boujut. Stuttgart 1961. Publié dans "Le Jour où Gary Cooper est mort" - Ed. Rivages. Janvier 2011