Le Bouddha ne voulait rien avoir à faire avec les choses qui ne menaient pas à l’extinction de dukkha. Par exemple, le thème de la réincarnation. Les gens lui posaient des questions comme : qu’est-ce qui se réincarne ? Comment se produit la réincarnation ? Qu’est-ce qu’un héritage karmique ? [Le kamma est une action intentionnelle accomplie par le corps, la parole ou l’esprit.] Mais toutes ces questions ne mènent pas à l’extinction de la souffrance et, de ce fait, ce ne sont pas des enseignements que le Bouddha a donnés. Par ailleurs, celui qui pose ces questions n’a pas d’autre choix que de croire aveuglément la réponse qui lui est faite puisque celui qui répond ne peut produire de preuves et parlera seulement selon son sentiment ou le souvenir de ce qu’il a appris. 

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Par contre, si on abandonne ce genre de questions, on peut se demander : « Dukkha existe-t-il ? » et : « Comment peut-on arriver à l’extinction de dukkha ? » A de telles questions, le Bouddha a consenti à répondre et celui qui écoute la réponse est en mesure de voir par lui-même la vérité de chacun des mots de sa réponse, sans avoir à y croire aveuglément. 

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Les enseignements bouddhistes ont pour but de nous faire savoir qu’il n’y pas de « soi », qu’il n’y a rien de « personnel », et que cette impression d’être une personne n’est que la compréhension erronée d’un esprit ignorant. Il y a simplement un corps et un esprit, et tous deux ne sont que des processus naturels. Ils fonctionnent comme des mécanismes qui traitent et transforment des données. 

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On voit que ce sentiment d’un « moi » et d’un « mien » n’apparaît que lorsque l’on se laisse bêtement piéger par la nature trompeuse des expériences sensorielles. Comme il n’existe pas de « personne » qui soit née, il n’y a personne pour mourir et renaître. Ainsi toute la question de la réincarnation est ridicule et n’a rien à voir avec le bouddhisme. 

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Quand on connaît la cause racine de dukkha, on est en mesure de l’éradiquer. Or cette cause racine est l’ignorance, la croyance erronée en un « moi » et un « mien ». 

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Pour éviter toute confusion, je vais ajouter un troisième terme : nous considèrerons que les maladies physiques et mentales sont toutes deux physiques et nous emploierons le terme « maladie spirituelle » pour désigner ce que le Bouddha considérait comme une maladie de l’esprit. 

Le mot « esprit » se réfère aux aspects subtils du mental qui sont malades car sous l’emprise de parasites mentaux, en particulier à cause de l’ignorance et d’une vision erronée des choses. [...]

Vous allez tout de suite voir que tout le monde, sans exception, souffre de la maladie spirituelle. Les maladies mentales ou physiques n’arrivent qu’à certaines personnes à un certain moment et elles ne sont pas si terribles. Elles ne créent pas une souffrance permanente, à chaque inspiration et chaque expiration comme le fait la maladie spirituelle. C’est pourquoi les enseignements bouddhistes ne s’occupent pas des maladies physiques et mentales ; ils sont le remède à la maladie spirituelle et le Bouddha est le « médecin de l’esprit ». 

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Le germe de la maladie spirituelle se situe dans le sentiment de « nous » et de « nôtre », de « moi » et de « mien », sentiment qui nous assaille régulièrement. Ce germe, déjà présent dans l’esprit, se développe tout d’abord en un sentiment de « moi » et de « mien », puis, sous l’action de l’égocentrisme, devient avidité, haine et vision erronée des choses, ce qui crée des perturbations aussi bien pour soi que pour les autres. Tels sont les symptômes de la maladie spirituelle tapie en nous. Nous pouvons aussi l’appeler « la maladie du moi et du mien ». 

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Nous devons prendre conscience du fait que ce germe est l’attachement et qu’il a deux aspects : l’attachement au « moi » et l’attachement au « mien ». Etre attaché au moi, c’est sentir que le « je » est une entité, que « je suis » comme ceci ou comme cela, que « je suis » égal, inférieur ou supérieur aux autres, etc. Toutes ces attitudes expriment un « moi ». Quant au « mien », c’est considérer que cela m’appartient : c’est « mon » goût, c’est « mon » opinion. Même les choses que nous détestons, nous les considérons comme « nos » ennemis. Voilà ce que l’on appelle « mien ». 

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Selon le Bouddha, quand le moi et le mien sont vus pour ce qu’ils sont, il ne reste qu’une parfaite vacuité que l’on appelle nibbāna – comme dans l’expression « le nibbāna est la suprême vacuité » – c’est-à-dire absolument vide de « moi » et vide de « mien », sans qu’il ne reste quoi que ce soit d’autre. Le nibbāna est la fin de la maladie spirituelle. 

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la personne est complètement régie par l’avidité, l’aversion et l’ignorance de la réalité des choses. La maladie s’exprime en tant qu’égoïsme et elle va faire du mal à soi comme aux autres. C’est le plus grand danger au monde. 

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On peut diviser les maux de l’esprit en trois catégories : le désir, l’aversion et l’ignorance ou compréhension erronée de la réalité. On peut aussi les regrouper en seize ou en autant de catégories que l’on voudra mais, au bout du compte, elles sont toutes incluses dans la convoitise, la haine et l’ignorance. Et ces trois-là peuvent même être réunies en une seule : le sentiment de moi et de mien. Le sentiment de moi et de mien est le noyau interne qui donne naissance à la convoitise, à la haine et à l’ignorance. 

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Le corps et l’esprit sont semblables ; ce n’est pas comme si dukkha était inhérent au corps et à l’esprit : ce n’est que lorsqu’il y a attachement au moi et au mien qu’ils sont dukkha. Quand le corps et l’esprit sont purs et libres de tout parasite mental, comme ceux d’un Arahant, il n’y a absolument aucun dukkha. 

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En conséquence, pour être clair et concis, même si cela peut paraître assez effrayant, on dira comme Huang Po, maître de la lignée zen, que la vacuité est le Dhamma, la vacuité est le Bouddha et la vacuité est l’esprit originel. La confusion, l’absence de vacuité, ce n’est pas le Dhamma, pas le Bouddha, pas l’esprit originel ; 

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Prenons une vertu [comme] la gratitude. Avec cette unique vertu, le monde pourrait être en paix. Elle nous force à reconnaître que, dans ce monde, chaque personne est bénéfique à quelqu’un d’autre. Et pas seulement les personnes ! Les chats et les chiens, les moineaux eux-mêmes sont un bienfait pour l’humanité. Si nous prenons conscience de notre dette de gratitude envers tout cela, nous serons incapables d’agir d’une façon qui nuise ou oppresse qui que ce soit. Avec la force de cette simple vertu qu’est la gratitude, nous pouvons aider le monde. 

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Le vide intérieur, c’est être normal, c’est avoir un esprit qui ne soit ni dispersé ni confus. Tous ceux qui le ressentent en sont très satisfaits. Et si cet état se développe jusqu’à son niveau le plus élevé, c’est-à-dire que l’on arrive à être vide de tout égotisme, c’est l’Eveil, le nibbāna. 

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A ce stade, nous devrions parler un peu plus du traitement et éclaircir le fait que, pour protéger contre la maladie ou pour la guérir, 

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L’une des manières consiste à constamment contempler le moi et le mien comme étant illusion ou hallucination. Cela permet de voir que le sentiment d’être une personne, une entité apparemment solide que nous considérons familièrement comme étant moi et mienne, est en réalité une simple illusion. On y parvient en contemplant le soi au travers du paticcasamuppāda, la loi universelle d’interdépendance ou enchaînement de cause à effet. 

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Chez la plupart des gens, une fois que le contact sensoriel a eu lieu, le sentiment apparaît, suivi du désir, de l’attachement, du devenir et de la naissance du moi. Ce chemin est si souvent parcouru qu’il est aussi facile à suivre qu’une pente glissante. Mais ne le suivez pas ! Dès que le contact sensoriel a lieu, nous pouvons nous détourner et prendre la voie du discernement, la voie de l’attention et de la sagesse. 

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Le Bouddha a enseigné un principe très simple à un disciple du nom de Bahiya : 

« O, Bahiya, 

Quand tu vois une forme, qu’il n’y ait que le voir. 

Quand tu entends un son, qu’il n’y ait que l’entendre. 

Quand tu sens une odeur, qu’il n’y ait que le sentir. 

Quand tu goûtes une saveur, qu’il n’y ait que le goûter. 

Quand tu as une sensation physique, que ce ne soit qu’une sensation. 

Et quand une pensée apparaît, 

que ce ne soit qu’un phénomène naturel qui apparaît dans l’esprit. 

Ainsi, il n’y aura pas de soi. 

Quand il n’y aura pas de soi, il n’y aura pas de mouvement ici et là 

et pas d’arrêt nulle part. 

C’est la fin de dukkha. C’est le nibbāna. 

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Pour faire une comparaison simple, c’est comme avoir un chat à la maison pour empêcher les souris de venir faire des dégâts. Tout ce que nous avons à faire, c’est nous occuper du chat et les souris disparaîtront sans que nous ayons à les chasser. Le chat fera son travail et il n’y aura plus de souris. Grâce au chat, il n’y aura plus d’indésirables. De même, si nous nous contentons de veiller correctement sur les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, le corps et le mental, les obstacles à l’Eveil disparaîtront naturellement. 

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Si nous vivons « correctement », selon les principes de non-attachement, les formes, les sons, les odeurs, les saveurs et les sensations physiques ne peuvent pas nous faire de mal. Nous les ressentons et nous en tenons compte mais nous les traitons avec une attention capable de discerner leur vérité. A partir de là, nous pouvons utiliser les choses, les consommer, les posséder ou les garder sans que cela entraîne de la souffrance parce que c’est comme si ces choses n’existaient pas. Nous pourrions tout aussi bien ne pas les utiliser, ne pas les consommer, ne pas les garder car nous sommes conscients qu’elles ne sont pas « nous » ni « à nous ». 

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Attention à ne pas croire que l’absence de naissance du moi et du mien signifie que l’on est vide au point de ne rien ressentir du tout. On n’est pas assis comme une statue ou une bûche. Au contraire, on est extrêmement actif. Etre parfaitement vide de « naissance », vide de « moi », c’est être si parfaitement attentif et sage que tout ce que l’on fait coule naturellement de source. Comme il n’y a pas de pensée erronée, pas de parole fausse, pas d’action malveillante, on agit avec rapidité et assurance. 

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N’oublions pas que nous devons avoir sans cesse conscience de nous-mêmes. Ne soyez pas distraits, ne manquez pas de vigilance. Observez sans cesse le « vide » et les « perturbations » qui se produisent au cours de la journée. Que l’esprit soit conscient et se réjouisse du vide, le nibbāna omniprésent. Ne le laissez pas pencher vers une compréhension erronée et se perdre dans des choses qui le distraient. 

A l’heure actuelle, le plus grave problème est que personne n’a vraiment envie de mettre un terme à dukkha. Nous en sommes arrivés à un point où les gens n’osent pas affirmer que nous sommes nés pour nous libérer de dukkha. Il semble que nous soyons nés pour n’importe quoi, tant que cela nous plaît et nous amuse. Nous nous contentons de suivre aveuglément ce qui nous entoure. En réalité, mettre fin à dukkha n’est pas difficile, ce n’est pas au-delà de nos capacités, pas plus que n’importe quel travail ou métier. Le seul problème est que nous ne comprenons pas, nous tournons le dos à cette question, de sorte que nous souffrons constamment. 

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Voir l'article sur le non-attachement d'un point de vue bouddhiste.